Les onze lavandières et le paysan.

Dans ce lieu autrefois, ce serait paraît-il déroulé une histoire fort étrange… Il s’agirait de celle de Félicien, un paysan surzurois. La voici telle que me l’a racontée Danevelein*, le légendaire
colporteur…
Félicien, après avoir vendu un boeuf gras à la foire de Muzillac, rentra le soir à sa demeure. Il décida, pour une raison que lui seul aurait pu expliquer, de prendre un raccourci par le lavoir. Dans
ce crépuscule tombant de janvier, il fallait être inconscient de s’y risquer. Effectivement, le paysan se rendit rapidement compte de son imprudence… Des voix et des coups de battoirs remontaient du lavoir situé en contrebas. L’homme se pencha sur la barrière du pont et distingua péniblement des lavandières. Il en dénombra jusqu’à onze. Tandis qu’il les comptait, l’une d’elles l’aperçut et
l’interpella :
– Félicien, descends tu vas nous aider !
– Viens donc avec nous ! fit une autre qui l’encouragea en agitant la main.
A tour de rôle, toutes l’incitèrent à les rejoindre. En descendant les quelques marches, Félicien se rendit compte qu’il les connaissait très bien et qu’elles avaient toutes un point commun… ce
n’était nullement leur coiffe ni leur tablier bien que ces objets fussent identiques mais chose très surprenante… qu’elles auraient dû être allongées dans leur tombe au cimetière…
Tandis que les onze laveuses l’entouraient, il se mit à les regarder les unes après les autres ; la première était une ancienne voisine qu’il avait découverte gisant au fond d’un puits, la seconde était
une cousine mortellement piétinée par un boeuf, sa belle-soeur empoisonnée par le venin d’une vipère aspic était la troisième, la quatrième se trouvait être une amie d’enfance qui avait exercé le métier de repasseuse de coiffes morte étouffée par une piqûre de frelon à la gorge, la cinquième n’était autre que sa soeur aînée également la femme du cordonnier qu’un mal mystérieux avait
emportée à 28 ans, la sixième la patronne d’un café avait trépassé lors de l’épidémie de grippe espagnole qui avait sévi dans la région, il soupira devant la septième sa soeur cadette décédée
tragiquement foudroyée un jour d’orage, la huitième son ancienne promise qui avait préféré épouser un riche propriétaire terrien qui la frappait tous les jours. Elle finit par succomber sous les coups du mari violent. La neuvième sa soeur benjamine s’était suicidée mais Félicien en ignorait la raison, la dixième sa fille aînée tuée accidentellement un jour des foins en tombant de la charrette et la
onzième, très chère à son coeur et qui l’avait interpellé, sa femme morte de chagrin après avoir perdu son fils en le mettant au monde. Il réalisa qu’il avait en face de lui les lavandières de nuit qui
lavaient leur linceul. Connaissant la sinistre légende, il tordit le linge dans le même sens qu’elles.
C’est alors que successivement les onze apparitions se transformèrent en dalles de pierre… On ignore ce que devint Félicien car personne ne crut à son histoire de lavandières de nuit. Ah ! si un
seul… Danevelein*, le légendaire colporteur…
* Danevelein : conteur-rapporteur

Texte écrit par Jules Talbot. 2023

 

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